mercredi 22 octobre 2008

Le portrait (texte court)


Le temps s'est figé, un instant, le rayon de soleil n'a plus bougé, il est demeuré là baignant son visage d'une douce lumière dorée. Ses yeux étaient mi-clos, afin de se protéger de celle-ci, mais sous le rideau de cils, on pouvait tout de même voir l'expression mélancolique et inquiète qu'ils avaient gardés. Ils étaient immobiles, mais il me semblait que d'un moment à l'autre, ils allaient exprimer autre chose. Et cette main sans mouvement qui remettait d'un geste habituel une mèche de cheveux rebelle, ne reviendrait-elle pas se poser sur l'accoudoir du fauteuil ? D'ailleurs, son autre main, blanche et fine s'y trouvait déjà, se détachant avec netteté sur le bois poli, brillant et usé par les multiples mains qui s'y étaient appuyées. L'ombre noire atteignait ses jambes, les cachant et ne laissant distinguer que leurs formes imprécises ; cependant, la clarté avait gagné sur l'obscurité en montrant l'un de ses pieds. Celui-ci reposait sur le tapis comme un joyau sur son écrin : il était mignon, fragile et chaussé d'une simple sandalette qui dévoilait la chair rose et tendre. Tout à coup, je voulus que la lumière se déplace ; j'étais déchiré entre l'envie de rester prisonnier de cet instant et celui de savoir ce qu'il y avait après...Peut-être un rayon caresserait ses jambes me permettant de les voir, mais était-ce préférable ? L'ombre, elle au moins laissait galoper l'imagination.

Mon regard remonta et s'arrêta sur sa taille si mince que deux grandes mains en auraient fait le tour, elle était serrée par une ceinture violette qui chatoyait dans le soleil. Un rai de lumière égaré m'amena à un amas de plis bleus d'où émergeait une épaule d'une rondeur charmante, en suivant la courbe de celle-ci, on parvenait à un cou de cygne blanc. Puis un pétale rouge attira mon attention, c'était une bouche adorable, ouverte sur de petites dents nacrés... et, là, près de la lèvre une fossette était creusée. Ses grands yeux m'appelèrent, c'étaient deux grands lacs où l'on aurait voulu plonger, et peut-être même s'y noyer. Dans leur profondeur brillait une infinité de paillettes aux tons les plus inattendus : de l'argent, de l'or, du violet... Ils étaient surmontés par deux longs sourcils recourbés et dessinés à la perfection, et à qui la lumière donnait un éclat remarquable. Au-dessus d'eux, le front blanc, marqué d'un pli pensif était entouré par le halo doré que formait sa chevelure ensoleillée. A travers cette soie miel, on apercevait un lobe d'oreille un peu enfantine, mais qui était quand même ornée d'une perle. Je réalisais enfin, combien ce lambeau de temps était précieux : l'horloge du temps avait interrompu sa course, laissant cette scène capturer un rayon de soleil. Une question passa dans mon esprit, comme un oiseau dans le ciel et s'y nicha : combien de choses manquait-on, combien de détails échappaient à notre regard lorsque le temps continuait sa marche ? La richesse d'un instant se révéla évidente. J'aurais donc pu rater ces yeux, ce pli au front, ce rayon fugitif, tout cela aurait changé sans que je le remarque ! J'émis de vains regrets sur tout ce qu'on perdait, avant de comprendre ce qu'on m'avait offert. Brusquement l'aiguille de l'horloge se déplaça sur le cadran, passant à la minute suivante : le soleil s'assombrit, la main retomba sur l'accoudoir, la ceinture reprit sa teinte terne, le pli et la fossette disparurent, la bouche se referma, les yeux devinrent inexpressifs, les paupières papillonnèrent...Avais-je donc manqué un mouvement du pied, le glissement d'une mèche folle ? Je ne le saurais jamais.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Le temps qui passe ... éternellement?
Nous aussi nous passons, mais nous pouvons "saisir" tous ces merveilleux moments.