Chapitre 5 : Les ennuis
La compagnie s'était remise en route, et avançait bon train dans le morne paysage quand elle arriva en vue d'une large rivière. L'eau coulait violemment s'écrasant avec puissance sur les rochers qui composaient la rive, les flots charriaient d'épais branchages, de la terre, et des feuilles qui disparaissaient parfois dans des tourbillons. Nos amis longèrent la rive, cherchant un pont ou bien un gué, mais ils ne trouvèrent rien. Finalement, ils se concertèrent pour savoir comment passer. Hélas les propositions ne furent guère concluantes : l'arbre couché qu'on avait porté là en guise de pont fut emporté par le courant, la marche le long de la rive ne donna rien, la corde lancée en lasso de l'autre côté de la rive n'atteint jamais son but... On se tourna alors vers les forces magiques, ou plus simplement vers Ornella pour savoir si quelque formule ne pouvait pas leur permettre de passer la rivière.
La sorcière réfléchit longuement, mais sa pauvre mémoire ne se rappelait guère de toutes les incantations qu'elle avait apprise pourtant et puis il faut dire que les regards pleins d'espoirs de ses amis la dérangeaient. Elle n'aimait pas être la dernière solution envisagée, car elle avait le sentiment qu'une responsabilité énorme pesait sur ses épaules. Elle ne se souvenait plus de la formule pour voler, ni de celle pour assécher les rivières. Elle se rongeait son frein, demandait un peu temps quand on lui posait des questions, reculait toujours. Les autres se creusaient la tête, tournant encore et encore dans leur esprit les possibilités qu'ils avaient. Ils faillirent même dire à Ornella d'abandonner. Yvi, malgré son intelligence, avait déclaré forfait, en affirmant qu'ils ne pouvaient pas passer. L'oracle s'était plongé dans la mémoire collective des Oracles et était injoignable tellement il était concentré. Les autres n'avaient plus d'idées, puisque celles qu'ils avaient eues, avaient échoué lamentablement. Ils étaient découragés. L'épreuve du labyrinthe s'en trouvait minimisée. Ils s'énervaient de buter sur cette bête rivière, un simple filet d'eau que la nature avait conduit à cet endroit, à cette époque.
Ils longèrent longtemps la rive alors que la fatigue et la faim les tenaillaient. Ils n'avaient plus de provisions. Tout ce qui avait pu être joyeux se trouvait teinté de désespoir, bref ils étaient déprimés. Oh, ils avaient bien quelques rires, quelques flammes d'espoirs dansant dans leurs yeux, mais plus leur marche se faisait longue, plus la faim grandissait, plus ces instants étaient rares. Ils s'encourageaient mutuellement, et là où l'un craquait, l'autre tentait de lui remonter le moral. Ornella surtout s'assombrissait de plus en plus, car elle se sentait coupable de ne se souvenir de rien de ce qu'elle aurait dû ; le troll, qui était bien le plus optimiste de tous, essayait vainement de la dérider.
Toute l'aventure allait tomber à l'eau - c'est le cas de le dire - quand Ornella, après une chute, se souvint de la façon de construire un pont avec la magie. Tout le monde la félicita, tout le monde se sentit mieux malgré leurs estomacs dans les talons, mais ils déchantèrent vite quand Ornella expliqua ce qu'il fallait faire pour que le charme fonctionne.
– Toutes les personnes qui doivent passer sur le pont doivent tremper leurs habits dans la rivière, marcher sur des braises ardentes et ensuite entrer dans un cercle sur les bords duquel je verserai une potion préparé préalablement en prononçant la formule adéquate. Le pont se formera le temps que les personnes qui ont été enchantées le traversent.
Il est sûrement inutile de vous dire que pas mal de protestations s'élevèrent, mais que chacun finit par se résigner à s'exécuter : ils n'avaient pas d'autres choix. Tandis que la gente masculine mouillaient leurs habits, les femmes cherchèrent les ingrédients de la potion.
Le troll et le chevalier durent tenir Kinglion pendant que celui-ci mouillait son pelage, et firent de même avec la robe du centaure. Les habits du Libellule eurent la malchance d'être emportés par le courant au grand dam de celui-ci.
– J'en ai assez, assez ! Vous comprenez ça, on mange pas, on boit de l'eau insipide, on rit pas, on ne combat rien du tout et on reste coincer à cause d'une bête rivière ! J'en ai marre, je voudrais être chez moi, au chaud, le ventre plein en train de raconter de bonnes histoires. Mais je ne peux pas ! J'ai eu la bonne grâce de ne pas trop me plaindre, de soutenir ceux qui pleuraient, ceux qui n'allaient pas, ceux qui avaient mal à le tête... J'avais faim, et j'ai toujours faim, et maintenant voilà que j'ai froid et que je n'ai même plus d'habits. Plus rien du tout ! Et puis vous avez ce paysage désolé où l'on ne rencontre jamais personne, j'en ai assez, assez !
– On va t'en refaire des habits, ne pleure pas, on dirait que tu vis une tragédie. Ce n'est pas un drame pourtant de perdre trois bout de tissus ! contra le Troll qui essayait d'endiguer la crise du lutin.
– Oui, mais c'est la goutte de rivière qui fait déborder le lutin, dit le chevalier
– Voilà que lui aussi tente de faire de l'humour ! Ah ! Je n'aurais jamais voulu perdre la chance de voir ce gaillard s'arranger un peu. Notre contact doit être enrichissant ! s'exclama le nain qui sembla tout à coup joyeux.
L'accident s'arrêta là. Ensuite, ces messieurs s'occupèrent du chemin des braises alors que ces mesdemoiselles s'en allaient mouiller leurs habits. Seule Spiolys, qui volait, comme toute fantôme qui se respecte, fut épargnée, d'ailleurs c'était bien la seule qui n'avait pas faim. Elle avait déjà souffert en son temps. Pendant que la majorité se brûlait les pieds avant d'entrer dans le cercle, Ornella achevait la potion dont les ingrédients avaient été fort heureusement assez simples à trouver dans ce paysage désolé. Il y avait bien eu un ingrédient introuvable, mais la sorcière avait retrouvé la formule qui permettait la transformation d'une chose à une autre, aussi le problème avait été résolu sans trop de mal. Cependant, Libellule rechigna à passer sur les braises. C'était trop dur pour ses petits pieds, trop chaud, trop long...
1 commentaire:
on est avec eux dans le paysage rocheux où roule cette rivière!
vont-ils tous passer? qu'y a -t-il de l'autre côté?
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